
Cuisine marocaine au Canada, la « copie », est-elle conforme à l’originale ?
Compliqué de « vivre sa cuisine » lorsqu’on est immigrant marocain au Canada ?
Peut-être, mais une chose est certaine : Les marocains résidant à l’étranger sont probablement plus attachés à leurs traditions, notamment culinaires, que ne le sont les marocains du Maroc. Il semble même que l’attachement s’accentue avec la distance qui sépare le pays d’accueil de la mère patrie. Les exemples sont légion !
Cuisine marocaine du Maroc
Certaines « mauvaises langues » parlent d’une cuisine marocaine plus savoureuse au Canada qu’au Maroc. Dur à croire, mais lors de mon dernier voyage au pays, j’avais remarqué que certaines mauvaises habitudes culinaires s’installaient tranquillement chez les familles comme chez les professionnels. Les plats de la traditionnelle cuisine marocaine si savoureuse font progressivement place à une cuisine mondialisée. Les saveurs ne sont plus les mêmes et l’intérêt que l’on portait à nos traditions culinaires semble s’estomper.
À ce sujet, qu’on ne me demande pas de sources, d’études ou de statistiques. Il s’agit là d’un constat personnel et de sentiments et d’impressions qui en découlent.
Douanes Canada incitent à la débrouillardise !
Les marocains du Canada, pour ne parler que de ceux-là, ont appris à se débrouiller pour produire, ou plus exactement, reproduire une cuisine conforme à l’originale.
À 6000 kilomètres du pays, manquant cruellement d’ingrédients originaux et contraints de presque tout produire eux-mêmes et sur place, douanes canadienne leur interdisant ou limitant considérablement de produits de base nécessaires à la cuisine traditionnelle marocaine, les marocains du Canada ont développé, avec le temps, une expertise en la matière.
Le beurre traditionnel (Zebda beldiya), le beurre ronce (Smen), les viandes séchées (Gueddid), toutes les sortes de graines… sont saisis aux postes de douane et pour être ensuite incinérés, et il n’est pas exclus que les contrevenants aux lois canadiennes en vigueur soient assujettis à des amendes conséquentes et dissuasives.
La solution qui est d’en être une
Aujourd’hui, le problème est de moindre acuité puisque certains produits, mais pas tous, sont distribués par des importateurs qui se spécialisent en produits d’épicerie marocaine, mais la cuisine traditionnelle marocaine est tellement riche et si diversifiée que les chances de voir un jour « tous » les ingrédients garnir les rayons des magasins spécialisés au Canada relève de l’utopie.
La nostalgie, un terrible propulseur !
Faire preuve de créativité et adapter sa cuisine aux contraintes précédemment citées restent l’unique moyen de vivre pleinement sa tradition culinaire. Et croyez-moi le résultat est tout simplement étonnant.
Une mrouziya, une s’khina, un couscous, un khliî… préparés au Canada n’ont absolument rien à envier aux mêmes plats préparés au Maroc. Ils sont peut-être plus savoureux.
Pour cause, la qualité des ingrédients est, à ce titre, pour beaucoup dans celle des recettes.
À part les poissons péchés et vendus frais et les fruits et légumes de saisons qui ne transitent pas par les frigos, le Maroc semble peu à cheval sur la qualité et la salubrité des aliments. Les prix des viandes étant prohibitifs dans les grandes surfaces commerciales au Maroc, le consommateur marocain se rabat sur les viandes proposées par les boucheries de quartiers, là où il est rare qu’elles soient salubres et de bonne qualité. Manipulée à mains nues et laissée des heures durant à l’air libre, une telle viande est tout simplement avariée et non propre à la consommation, si on la compare aux viandes canadiennes dont la vente et la transformation sont rigoureusement contrôlées. Les viandes marocaines sont, à ce titre et de loin, de moins bonne qualité.

La qualité des ingrédients est-elle meilleure au Canda ?
Les prix de vente des épices au Maroc semblent confirmer les rumeurs qui circulent à leur sujet. Si les épices sont mélangées à de la farine, aux colorants artificiels ou à d’autres produits sensés en élever le poids à la pesée et leur donner une meilleure apparence, il est normal que le gout en soit altéré.
Selon Mustapha Charmouh, maroco-canadien spécialiste des épices, les normes canadiennes en matière de qualité sont très élevées. « Lba9 mayzha9 » selon ses propres mots qui décrivent sans équivoque les exigences de Santé Canada et Douanes Canada, qui sont les instances gouvernementales fédérales pour lesquelles le paprika en provenance du Maroc mélangé au colorant artificiel, au même titre que certains types de tajines infestés de mercure, ainsi que certaines boissons, sont tout simplement proscrits.
Quant aux fruits séchés, farines, miel…, et qui sont considérés parmi les piliers de la cuisine traditionnelle marocaine, ils font non seulement le bonheur des marocains du Canada, mais sont pour la plupart moins chers qu’au Maroc.
Par ailleurs, au Canada les ingrédients obéissent au vrai principe de l’offre et de la demande et l’entrée sur le marché de grands producteurs permet de réguler les prix, en augmentant considérablement l’offre. Les moyens de production sont performants et l’abondance de l’offre profite largement au consommateur.
Dans le seul Montréal, il y a plus de cinq importateurs de produits maghrébins et des dizaines d’épiceries, dites maghrébines, qui se livrent une concurrence féroce, dans un contexte de clients avisés, voire expert.
Il va de soi que l’eau de fleur d’oranger, pour ne citer que ce produit, coute plus cher à Montréal qu’à Casablanca, mais il demeure plus abordable qu’il y a une dizaine d’années et à 1,99 $ au 250 cl, les montréalais, marocains ou autres, vous dirons : « C’est pas si chayr » !
Identité, nostalgie et transmission
À l’origine de l’acharnement des marocains du Canada à faire mieux que leurs compatriotes du Maroc, il n’y a pas que la nostalgie, il y a tout un ensemble de facteurs dont la « nécessaire » volonté d’affirmer son identité et « l’existentielle » question de la transmission du patrimoine culturel aux nouvelles générations.
Ces mêmes facteurs font en sorte de perpétuer cette agréable tradition qui veuille que le gâteau marocain, entre autres, soit abondamment consommé là où la joie et le bonheur l’emportent, bien souvent, sur toute autre considération.
« Who cares » (comme diraient nos amis anglophones) ?
Le bonheur n’a pas de prix. Et la passion fait souvent perdre la raison !